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Novae - Une fin des temps: Passage par les amanites Public
Nouvelle Amanites Jungle petit saut Science Fiction

Au détour de la petite île apparut soudain la forêt submergée. Elle était fantomatique. Des milliers d'arbres dont seule la cime dépassait des flots. Du bois mort, sans écorce, sans vie. La brume matinale s'était levée mais restait encore accrochée par endroits à leurs sinistres silhouettes.
Edouardo arrêta le moteur.
- Mathias, tu passes à l'avant, ordonna-t-il.
Il s'exécuta et chevaucha maladroitement les bidons empilés, manquant à deux reprises de tomber à l'eau.
- Si tu vois un tronc entre deux eaux, tu lèves le bras. Fais bien attention, un tronc peut nous bloquer ou pire nous couler. Il y a souvent des accidents sur le lac!
Karin resta aux côtés du brésilien, peu rassurée, alors qu'il redémarra le moteur en diminuant sa puissance alors qu'ils entraient dans un chenal naturel tracé entre les troncs morts.
- La forêt morte est un vrai labyrinthe, lui cria-t'il pour couvrir le bruit du moteur. On va suivre le cours de l'ancien fleuve. C'est le chemin le moins risqué et le plus simple. Mais il faut rester prudent. Les arbres morts peuvent tomber à tout moment, c'est déjà arrivé qu'ils tombent sur un bateau! C'est vraiment pas de chance! C'est très rare. Mais souvent, ils barrent une voie et on perd des heures à trouver un autre passage!
- Tu as fait souvent ce parcours ? lui demanda Karin.
Il répondit pas un clin d'oeil.
Karin remarqua que sur certaines branches étaient attachés des chiffons. Parfois, leur guide s'engageait sur un étroit passage entre les arbres morts, quittant le chemin principal. Parfois, il mettait les gaz sur une centaine de mètres puis ralentissait sans qu'elle n'en comprenne la véritable raison.
- Qui était ce vieil homme à qui tu as parlé avant de partir? Demanda Karin à Edouardo.
- Ce ne sont pas tes affaires.
- Désolée.
- Mais je n'ai rien à cacher! C'est le propriétaire de notre pirogue. Il nous la prête pour le week-end. Il ne voulait pas être payé. Mais il est vieux et ses enfants travaillent sur les crevettiers pour le nourrir. Ces gens n'ont pas la vie facile. Il a les dents toutes gâtées, elles le font souffrir, mais il n'ose pas aller chez le dentiste. C'est trop cher et il n'a pas de papiers. Alors je lui ai donné l'adresse d'un ami à moi qui peut lui soigner ses dents. C'est un brésilien que j'ai connu sur une concession d'or. Il était dentiste, comment vous appelez ça? Ceux qui font des bridges. Toutes ses dents étaient en or. Il gagnait bien sa vie au Brésil, mais la fièvre de l'or l'a atteint. Alors il est venu tenter sa chance ici. C'est beaucoup moins dangereux que chez nous... Au bout de deux mois, il a demandé que je le ramène. Il était épuisé, cette vie était trop dure pour lui. Mais il est resté en Guyane et a même obtenu un titre de séjour. Les diplômes, c'est quand même utile. Lui le soignera sans problème et acceptera de se faire payer en paillettes d'or.
- Le papier plié que tu lui as donné?
- Tout à fait.
- Mais, tu es la soeur Thérésa de la jungle ! Lui lança Karin.
- Pas vraiment. Tu sais, ici, la vie est dure, surtout pour les étrangers et les sans papiers. On est pourchassés par la gendarmerie, les légionnaires détruisent tout ce qu'ils peuvent te prendre quand ils font des opérations dans la forêt. Il faut être très solidaire et ne pas être un poids pour les autres. C'est une question de fierté, mais aussi de survie. Jamais les gens ne te demanderont quelque chose en échange d'un service, mais jamais non plus ils n'accepteront de ne rien te donner si tu les as aidés. Ce n'est pas le prix qui compte, c'est le geste. Si un gars te donne une bouteille d'eau alors que tu l'as remorqué sur 50 km, ne te dis pas qu'il est radin. Cette bouteille a de la valeur pour lui. L'eau potable n'est pas toujours facile à trouver, et il devra se priver. Ce qu'il t'a donné, c'est une petite fortune pour lui.
Le bruit du moteur couvrait la conversation et ils devaient crier pour s'entendre. Bientôt, la pirogue quitta la forêt pour entrer dans ce qui ressemblait à une ancienne clairière avec en son centre un îlot surmonté d'une cabane en ruines.
- Arrêt pipi, et pause déjeuner! Cria Edouardo en mettant plein gaz vers la petite île.
Ils amarrèrent leur embarcation à un arbuste qui poussait près de la ruine et débarquèrent. Les hommes installèrent quelques nappes et les provisions sur la plage pendant que la jeune femme satisfaisait ses besoins derrière la cabane.
La cabane était un cube rudimentaire en béton formé de quatre murs écartés d'un mètre chacun, dont l'un s'était effondré. A la place du toit il y avait des barreaux rouillés.
Alors qu'elle visitait la ruine, elle vit, nageant de l'autre côté de l'île Edouardo qui semblait chercher quelque chose sous l'eau. Sa main remonta enfin une cordelette fixée à une branche submergée. Il plongea et remonta un petit touque de quatre litres maximum qu'il emporta avec lui.
Elle revint à la pirogue et mordit dans son sandwiche en compagnie de Mathias.
- Elle est bizarre cette île, lui dit-elle.
- C'est la partie visible d'un ancien bagne amanite.
Face à sa mine interrogatrice, il continua.
- Les amanites étaient des prisonniers asiatiques du Cochinchine, à l'époque de la colonisation. On envoyait les gens au bagne sous n'importe quel prétexte. Haute trahison, voleur récidiviste, faux monnayeur, juif... Ce bagne n'accueillait que des asiatiques, les amanites. Il fait partie d'un réseau à travers la jungle dont le but était de construire une route qui désenclaverait la région. La route n'a jamais été construite. Les bagnards avaient la fâcheuse habitude de mourir trop vite. L'histoire de la France ce n'est pas que la liberté, l'égalité et la fraternité, surtout après la Révolution et même après l'abolition de l'esclavage. Alors qu'on condamnait les crimes de guerres nazis et leurs camps de concentration, on continuait de génocider nos prisonniers de droit commun dans des bagnes cachés dans nos colonies.
- C'était quoi cette cabane? Une réserve?
- Une cellule. On punissait les bagnards en les enfermant dans ces minuscules cellules pendant des jours et des nuits. Ils ne pouvaient pas bouger et se faisaient arroser par la pluie. Pneumonies, infection, mycoses et j'en passe. Imagine ce que leur corps et leur esprit subissait là dedans, quand ce n'était pas les gardiens qui leur urinaient au visage en rigolant! C'était cher payer un vol de pomme...
- Oui mais c'était à une époque très dure...
- Qui s'est perpétuée jusqu'en 1953, six ans à peine avant l'envoi de la première sonde vers la lune... huit ans avant le premier homme dans l'espace. Presque dix ans après la découverte officielle de l'holocauste... Politiquement, ça en arrange certains que les flots ou la jungle fassent disparaître si rapidement ces mauvais souvenirs dont on ne trouve que peu de traces dans les manuels scolaires...
- On peut dire que tu as le don pour mettre l'ambiance... le remercia Karin.
A ce moment, Edouardo fit irruption à côté de la pirogue et y plaça discrètement le petit bidon.
- Salut la compagnie! Ca fait du bien un bon bain! J'espère que vous m'en avez laissé!
Avant de les rejoindre, il vérifia le contenu du touque sans que Karin ne put en voir le contenu.
- Vous devriez profiter de la pause pour vous baigner. Il va faire chaud et on ne pourra pas s'arrêter pendant quelques heures si on ne veut pas se faire surprendre par la nuit!
Les deux occidentaux suivirent son conseil et se mirent à l'eau.
- Faites attention aux piraya et aux aïmaras quand même ! Leur lança-t'il quand ils étaient à quelques mètres du bord.
- Ne fais pas attention, la rassura Mathias. Il nous charrie. Ces poissons ne s'attaquent pas à l'homme. Sauf si tu saignes. Tu saignes?
- Pas que je sache.
- Le seul vrai danger, ce sont les raie d'eau douce. C'est pour ça que je ne mets pas mes pieds au fond... Et les anguilles électriques... Et les serpents d'eau... Et les sangsues, mais c'est moins grave... Et...
- C'est bon, tu peux arrêter là !

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